Aides high-tech, autonomie augmentée?
Le high-tech facilite le quotidien de celles et ceux qui vivent avec un handicap visuel. Quels outils sont-ils les plus utiles, quelle est leur origine et que nous réserve l’avenir? Enquête.
Voici comment l’intelligence artificielle «Midjouney» se fait sa propre représentation du futur des moyens auxiliaires et des personnes en situation de handicap visuel. Illustration: codeplay.ch / généré par Midjourney.
Les moyens auxiliaires high-tech, tels que les programmes informatiques auto-apprenants ou les applications pour smartphones qui décrivent instantanément un environnement, réduisent grandement d’innombrables aspects frustrants du quotidien. Ce potentiel énorme élargit massivement l’inclusion des personnes aveugles et malvoyantes. Une évolution à peine imaginable il y a peu, même si l’histoire des auxiliaires techniques remonte à loin.
Le braille à la source des premières avancées
Selon Silvia Brüllhardt, directrice du Schweizerisches Blindenmuseum (Musée suisse de la cécité) à Zollikofen, l’histoire des moyens auxiliaires techniques remonte à la création du braille au début du XIXe siècle par Louis Braille. On imagina alors les premiers outils d’écriture. «Grâce au braille, les personnes aveugles purent pour la première fois s’instruire de manière indépendante. Les aides techniques jouèrent rapidement un rôle déterminant pour ne plus devoir perforer à la main l’envers d’une feuille», explique Silvia Brüllhardt.
On créa bientôt la machine à écrire le braille, une révolution. Frank Haven Hall, son inventeur, la breveta en 1882, soit une bonne dizaine d’années après la conception de celle pour l’écriture noire. Elle resta pendant au moins un siècle l’outil technique le plus important s’agissant de textes, jusqu’à la popularisation progressive de l’ordinateur dans les années 1980.
«The Hall Braille Writer», la première machine brevetée en 1882 par Frank Haven Hall. Photo: anderssehen – Musée suisse de la cécité.
Premiers PC et handicap visuel
Les ordinateurs personnels marquèrent un tournant dans l’inclusion technologique. Les premiers modèles étaient accessibles aux personnes aveugles grâce à une plage braille brevetée en 1978. Urs Hiltebrand, informaticien et père de la fondation Access-Ability, se remémore une époque inédite: «Les personnes aveugles bénéficiaient d’un avantage sur le marché de l’emploi grâce aux PC de l’époque. Elles utilisaient déjà efficacement des ordinateurs tandis que leurs collègues voyants tapaient encore sur des machines à écrire.»
D’ailleurs, les premiers appareils, principalement basés sur du texte, furent dès le départ dotés d’une bonne synthèse vocale. «L’arrivée de Windows compliqua la situation. Plus l’interface devint visuelle, plus les barrières se multiplièrent», témoigne Urs Hiltebrand. On conçut beaucoup de lecteurs d’écran, mais «la plupart ne fonctionnèrent jamais correctement». Il fallut attendre le smartphone. Et Urs Hiltebrand de poursuivre: «À travers le monde, de très nombreuses personnes aveugles pilotaient désormais leur iPhone. Ce marché devenu inhabituellement grand généra enfin assez de pression pour qu’un bon lecteur d’écran voie le jour.»
Cette innovation a solutionné le grand problème des écrans tactiles, jusqu’alors pratiquement inutilisables par notre communauté. Aujourd’hui, le smartphone est l’assistant le plus important. Les experts de cet article sont unanimes pour dire que dans l’histoire des moyens auxiliaires, cette technologie a contribué à un «changement profond de comportement.»
L’IA changera-t-elle la donne?
Une nouvelle révolution se profile: l’intelligence artificielle (IA). Elle n’en est qu’à ses balbutiements, mais elle impressionne déjà, notamment dans des applications comme «Seeing AI». Pour Luciano Butera, expert du numérique à la FSA, lorsqu’elle évolue et s’intègre à d’autres accessoires éprouvés, le meilleur peut émerger, comme des lunettes intelligentes qui zooment et éclairent automatiquement ou «les voitures autonomes qui pourraient devenir intéressantes».
Dans un tout prochain futur, Urs Hiltebrand voit dans l’IA une aide pour affronter des situations complexes: «Actuellement, les personnes aveugles peuvent déjà trouver une adresse grâce aux applications de navigation. Le problème débute sur le pas de la porte.» La technique actuelle n’est pas encore très avancée, «mais l’IA pourrait nous indiquer la présence d’escaliers ou l’emplacement d’une sonnette». Au restaurant, un tel outil permettrait d’identifier les plats végétariens par exemple, et dans le bus, signaler les sièges libres et les obstacles inhabituels, comme un chien couché.
Et après?
Est-ce qu’avec de telles innovations, la perception des personnes aveugles se rapprochera-t-elle de celle des voyants? Nos experts se montrent sceptiques. Urs Hiltebrand de préciser: «Écouter l’IA, c’est n’entendre qu’une chose à la fois, alors que les images fourmillent d’informations.» De plus, toute innovation comporte des risques à ne pas négliger. Il faut veiller à protéger la vie privée et les données personnelles. Quelques scientifiques avertissent même que l’IA pourrait menacer l’humanité. Mieux vaut donc ne pas se précipiter sur les nouveautés et les développer avec prudence. Même si les précautions ne suivent pas le rythme des innovations, on remarque des signes encourageants: l’UE a promulgué la première loi au monde sur l’IA l’an dernier.
Quand l’IA «Midjourney» imagine des assistants transparents. Illustration: codeplay.ch / généré avec Midjourney.
Une version plus courte de ce texte a déjà été publiée dans le magazine de notre association « Clin d’œil » 1/2024.