«Heureusement que je suis insolente»
Domenica Griesser fréquente le CFR de Saint-Gall, et elle en est ravie. Elle se confie à «Clin d’œil», raconte sa vie pleine de péripéties et comment sa cécité s’est avérée être à plusieurs reprises un atout dans sa vie professionnelle.
Domenica Griesser / Source de l'image: sbv fsa
Peu de personnes ont acquis une telle palette de compétences que Domenica Griesser. Et pourtant, elle est devenue complètement aveugle à un jeune âge. Aujourd’hui, quand elle raconte sa vie, elle déborde de vitalité. Et à 65 ans, elle reste ouverte à la nouveauté. «Une fois à la retraite, je me suis promis d’essayer chaque chose qu’il est possible de faire au CFR», dit-elle en riant. Mais même si elle apparaît sûre d’elle, il ne lui a pas toujours été évident d’assumer son handicap.
«Une canne blanche? Jamais de la vie!»
Domenica a grandi en Thurgovie. Dès son enfance, il est clair qu’elle voit mal, et ça empire à l’adolescence. Sa famille déménage à Zollikofen afin qu’elle puisse aller à l’école pour aveugles. À cette époque, son handicap devient perceptible, mais quand elle se rend en ville avec ses amis, elle essaie de le cacher: «J’avais honte quand je me cognais contre quelque chose et je ne voulais pas me faire remarquer. Alors me promener avec une canne blanche? Jamais de la vie!»
Vers 18 ans, Domenica ne peut que faire la différence entre la lumière et l’obscurité. Les médecins sont désemparés. Aujourd’hui, elle sait qu’elle a une maladie rare incurable, l’uvéite auto-immune, qui peut entraîner des problèmes articulaires et la cécité. Une situation très dur à vivre pour la jeune femme: «Je me suis retrouvée freinée dans mon élan et j’ai dû redéfinir mes projets professionnels.» Elle qui se rêvait infirmière doit se tourner vers une formation de standardiste.
Courir pour évacuer le stress
La nature optimiste de Domenica l’aide à tenir le coup. Elle constate qu’elle peut continuer à pratiquer son sport préféré, mais un peu différemment. «Il était possible de courir seule sur la piste de tartan. Je pouvais sentir mon corps, évacuer le stress.»
Sortie de sa dépression, Domenica réalise que ni son poste de standardiste ni son apprentissage de bureau ne la satisfont. Elle devient masseuse. Un travail qu’elle aime mais que ses problèmes articulaires l’obligent à abandonner. À qui s’adresser pour trouver de l’aide? «Le job coaching de la fsa n’existait pas encore, et il n’y avait pas de service de conseil spécialisé.» Bien que l’AI n’accueille pas favorablement son projet de devenir assistante sociale, elle ne se laisse pas démonter. «Heureusement que je suis insolente!», sourit-elle. Elle s’adresse à l’école de travail social, et elle est acceptée.
Domenica Griesser au CFR Saint-Gall. / Source de l'image: sbv fsa
La déficience visuelle comme atout professionnel
À l’école de travail social, il n’y a pas de matériel pédagogique en braille à cette époque. Elle ne manque toutefois pas un cours. Si elle a besoin de relire quelque chose, ses camarades l’aident, et elle les aide en retour. Elle obtient brillamment son diplôme. Après avoir envoyé maintes candidatures, elle décroche enfin un emploi et prouve ce dont elle est capable: «J’ai toujours eu le sentiment que ma déficience visuelle était une compétence clé.»
Elle travaille d’abord dans une clinique spécialisée dans le traitement des addictions, puis avec des patients souffrant de troubles psychiques et cognitifs et enfin, pendant huit ans, dans le conseil aux personnes aveugles et malvoyantes. «C’est surtout dans la clinique de désintoxication que j’ai appris à cerner les patients. On disait que j’étais la seule à voir quand quelqu’un avait pris une substance.» Elle gère même les sorties avec les patients de l’unité fermée en demandant aux anciens de surveiller les nouveaux. Et elle est respectée. «Contrairement à certains de mes collègues, personne ne m’a jamais faussé compagnie», souligne-t-elle avec un sourire.
Le handicap de Domenica a aussi un impact sur les conseils aux personnes aveugles et malvoyantes. «Je comprenais par exemple d’emblée une personne qui ne voulait pas de canne blanche. Cela confère une certaine autorité, ce qui est difficile à accepter pour beaucoup.»
«Moi ça va»
Domenica a désormais une canne blanche et un chien guide depuis des années. Elle vit seule dans un appartement de 2.5 pièces. «Je fais tout moi-même, sauf laver les vitres.» En tant que déléguée de la fsa, ancienne membre du Comité fédératif et présidente de la section Suisse orientale, elle s’engage en faveur de l’accessibilité. «De nombreux progrès ont déjà été réalisés, notamment grâce à la fsa et à son inlassable travail de sensibilisation.»
Aujourd’hui, Domenica affirme avec sincérité: «Moi ça va. Tout est très bien ainsi». Son handicap visuel lui a aussi apporté des choses positives: «Je n’aurais jamais appris à saisir la personnalité des gens comme je le fais aujourd’hui. Et je n’aurais probablement jamais eu d’animal de compagnie. Aujourd’hui, je ne peux plus imaginer ma vie sans ma chienne – et je suis très reconnaissante.»
Ce texte est déjà paru dans le magazine de notre association « Clin d’oeil » 4/2025.
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